Réviser le passé pour mieux comprendre le présent: la maternité durant les années 50

Pour ceux qui me connaissent, ou qui ont lu mes articles sur la naissance au 18ème siècle, vous savez que je suis très friande d'histoire. La façon dont les gens vivaient s'habillaient, et, bien entendu, donnaient naissance et élevaient leurs enfants m'intéresse beaucoup. Et ce week-end, je suis tombée sur une petite relique du passé: une revue s'intitulant «Mon Bébé», datant des années 50 et distribuée par l'Hôpital Sacré-Coeur de Cartierville. 

D'après ce que j'en déduis, cette revue est un peu comme un «Mieux Vivre» des années cinquante, au sujet de l'accueil du bébé, de son alimentation, de sa croissance et de son éducation. J'ai tout parcouru avec grand intérêt, et la mère à qui appartenait la revue a même gardé les petits billets des conseils alimentaires du médecin reçus lors de ses rencontres de suivi pour son bébé. J'ai donc décidé de vous faire part de qelques parties qui m'ont surprise, amusée, choquée, ou décontenancée. Je trouve intéressant d'avoir ce livre entre les mains, car il nous fait voir exactement quels étaient les conseils donnés à ces femmes pendant des décennies. Femmes qui sont pour la plupart encore en vie et aujourd'hui grand-mères et arrière grand-mères. De plus, cela nous fait aussi comprendre pourquoi beaucoup de jeunes mères se retrouvent confrontées dans leurs valeurs avec leurs aïeules sur la façon de s'occuper et d'élever leurs enfants. Il nous fait aussi comprendre l'origine de certaines mentalités et croyances qui persistent toujours aujourd'hui. 

L'accouchement:
Cette revue s'adressait aux mères qui venaient d'accoucher, alors mis à part un petit témoignage datant de 1950, il n'y a rien d'autre sur l'accouchement. Je vous en met un extrait, qui témoigne tout de même du déroulement de certaines naissances à cette époque: « Ce soir du 15 mai 1950, j'ai dû être transportée à la salle d'attente, contigüe à la salle de délivrance. J'y ai été l'objet de soins attentifs et experts. La lassitude- et peut-être aussi certaine injection- me rendait somnolente. Je voyais les personnes et les choses comme dans un demi-rêve confus. Le visage anxieux de Bernard percait parfois ce brouillard. J'ai vu surtout le Dr. B, mon dévoué médecin; il était actif et calme; une religieuse vêtue de blanc et de souriantes infirmières étaient présentes. - «Vous avez un beau fils», dit tout à coup le docteur d'un air triomphant. - Un fils, repris-je, à demi éveillée par le choc du bonheur.»

L'allaitement et de l'alimentation:
Je savais déjà avant de lire cette revue que durant les années cinquante, très peu de femmes allaitaient, et la grande majorité des bébés étaient nourris à la bouteille. Evidemment, la majorité des articles sur l'alimentation (et des publicités dans la revue) traitent de l'alimentation au biberon. Ce que je ne savais pas par contre, c'est que les biberons de lait étaient additionnée de sirop de maïs (!!!) ou de sucre (3 cuillères à table pour 37oz de formule pour un bébé de 1 mois). Je savais aussi qu'on commencait à donner du solide tôt, mais je ne m'imaginait pas que ce serait aussi tôt qu'à 1 mois de vie! Sur le papier du médecin de la mère à qui appartenait le livre, le médecin suggère dès 1 mois de mélanger des céréales avec la formule, et de commencer à donner des bananes et du jus d'orange additionné de sucre!


Pour ce qui est de l'allaitement, le livre en parle très peu. Il y a quand même un petit article qui l'évoque, et c'est mentionné dans un autre, mais tous le reste des articles sur l'alimentation parlent de biberon et de lait en boîte. Voici quelques extraits: «Aujourd'hui, comme hier et demain, le meilleur aliment est le lait de femme. C'est le seul lait qui convienne à l'enfant. Sa composition en eau, en matières grasses, en protéines, en en hydrates de carbone et vitamines est absolument adaptée aux besoins alimentaires normaux du nourrisson. Sa digestion est plus facile, plus complète et son assimilation est presque totale. Même si la quantité dépasse quelque peu la ration quotidienne, cette légère suralimentation est pendant longtemps supportée dans troubles digestifs sérieux [...] La méthode moderne de nourrir l'enfant à toutes les 4 heures rend encore moins difficile un tel allaitement. La durée des tétées ne devrait pas dépasser les 20 minutes. Et les soins hygiéniques locaux sont simples. Les avantages de cette alimentation sont certains pour la mère et pour l'enfant. Il n'est pas de mère qui, désirant vraiment nourrir son enfant ne puisse y parvenir si elle suit les avis de son médecin. Il faut lui confier la surveillance de votre bébé. Cet allaitement est parfois accompagné de certaines difficultés «une montée tardive de lait, ou des gerçures du mammelon, par exemple.» [...] les gerçures du mammelon se rencontrent rarement si l'on a pris soin dans les trois ou quatre mois précèdent l'accouchement de préparer les mamelons par de légers massages ou pétrissages et des applications alcoolisées. D'autres difficultés peuvent survenir qui nécessitent la suppression de l'allaitement au sein. C'est votre médecin qui devra alors juger de la conduite à suivre. Ne décidez pas vous-mêmes du régime nouveau à donner à votre enfant. »

Je ne sais pas pour vous, mais si ce texte était le premier et le seul que je lisais au sujet de l'allaitement, je crois que moi aussi, comme la majorité des mères de cette époque, aurait probablement opté pour les préparation lactées pour nourrissons, ou «l'allaitement artificiel» comme on disait. Pas étonnant aussi que certaines de nos grand-mères ne comprennent pas ce choix d'allaiter à la demande que de plus en plus de mamans font aujourd'hui. 

Dans le texte suivant, qui s'intitule Retrouvez votre taille il y a une mention de l'allaitement qui m'a surprise pour l'époque, car il valorise le lait humain et critique le lait en boîtes. L'article lui même traite des ''désagréments physiques'' liés à la maternité, et de comment retrouver sa taille d'avant. Celui-ci se résumerait par: «Femmes, arrêtez de vous plaindre, si vous avez l'air de ça c'est bien votre faute, vous n'aviez qu'à écouter les conseils de votre médecin alors maintenant prenez-vous en main». Mais voici l'extrait qui traite des seins et de l'allaitement:« Le conseil de modifier la dimension de votre soutien-gorge ne vous a pas convaincues outre-mesure de son utilité. Et vous vous plaignez aujourd'hui du vieillissement précoce de votre poitrine. Le médecin, cependant, vous avait expliqué que, dès le début, la grossesse exerce une action physiologique sur les glandes mammaires avec la résultante d'une augmentation de volume. Et plus tard, vous rejèterez sur l'allaitement maternel la responsabilité de la flaccidité de l'organe. Le lait humain, autant que je sache, n'a jamais fait de tort à un nouveau-né; s'il est absolument nécessaire à la survie des prématurés, pourquoi ne serait-il pas, pour le moins, utile aux enfants à terme et bien portants? Mais l'attrait du lait en boîtes! Quelle merveille! N'en déplaise aux producteurs et aux profiteurs!»

Le sommeil:
Un autre aspect sur lesquel les mentalités ont extrêmement changé, (en fait c'est même le contraire) depuis 50-60 ans est bien le sommeil. Laisser ou non pleurer, cajoler ou non bébé et les rythmes ''normaux'' de sommeil du bébé sont un des thèmes sur lesquels les mères d'aujourd'hui ont souvent de la difficulté à s'entendre avec leurs mères et grand-mères. Ce n'est pas surprenant lorsqu'on lit tous ces textes, écris par des médecins, dans le «Mon Bébé». En voici quelques extraits: 
«On doit habituer l'enfant dès sa naissance à s'endormir seul. Bercer l'enfant pour l'endormir est à déconseiller de même que d'autres méthodes semblables qui sont inutiles et souvent dommageables à l'enfant. [...] L'enfant doit coucher seul après sa deuxième année; il ne devrait jamais coucher avec des adultes, ni même dans la même pièce. L'enfant en santé doit pouvoir s'endormir dans les vingt ou trente minutes qui suivent son coucher et il doit pouvoir se lever immédiatement après son éveil. [...] si l'enfant acquiert ainsi des habitudes convenables de sommeil, beaucoup d'angoisses ou d'inquiétudes, ainsi que d'insomnie lui seront évitées lorsqu'il sera rendu à l'âge adulte.» 

À la page 68, il y a les 26 commandements à suivre à la lettre, écrits comme des demandes du bébé. Il y en a qui sont assez intenses et très contradictoires avec les recommandations d'aujourd'hui. Je vous en mets quelques unes:
«Dormez quand vous le pouvez... je crie impertinemment.»
«Gardez-vous bien de me bercer, j'y prendrai goût immédiatement»
«Kangourou porte ses petits, ne l'imitez pas servilement»

Le rôle du père:
Voici l'ensemble des conseils sur le rôle du père tirés de cette revue: «Encouragez Papa à passer autant de temps que possible avec bébé, dès le début. merveilleux pour procurer ce bon ''sentiment familial''. Peut-être Papa pourra t-il se charger d'un repas, le soir, d'un bain pendant la fin de semaine. Puis, après un ou deux mois, quand bébé deviendra un peu plus ''sociable'', il pourra jouer un peu avec Papa quand celui-ci rentrera du travail. »

Religion:
Comme nous le savons tous, la religion catholique occupait une grande place dans la vie québécoise des années cinquante. Les conseils religieux avaient même leur place dans le «Mon Bébé». Un article intitulé Les cloches sonnent, Jean-Pierre est baptisé a pour but de préparer les parents au baptème de leur poupon, de les informer du déroulement de la cérémonie. Un autre segment a pour but de conseiller sur plusieurs aspects de l'événement, du choix de la robe du bébé, jusqu'aux bouchées à servir à la réception qui suit le baptême! Un autre article traite du choix du parrain et de la marraine et du rôle important que cela représente (ou représentait). Sans oublier de quelques mentions sur la chrétienneté ici et là à travers les différents articles. 

Prénoms:
C'est amusant de voir à quel point les modes changent! Il y a une page de suggestion de prénoms à la fin du livre, et je l'ai trouvée bien amusante! Voici quelques exemples, que j'ai triés en trois catégories: 

Ceux qu'on n'entend presque plus (en tout cas dans les salles de naissance): Angèle, Antoinette, Berthe, Bérangère, Camilienne, Colette, Donatienne, Fleurette, Gilberte, Gertrude, Léonce, Ninon, Odette, Suzon, Yvette, Yolande, Adhémar, Adalbert, Alcide, Dollard, Fortunat, Gildor, Hertel, Médard, Narcisse, Nestor, Osias, Onésime, Placide, Philibert, Sévérin, Sulpice, Ubald 

Certains qu'on entend encore de temps en temps: Agathe, Aline, Adrienne, Aurore, Béatrice, Clémence, Charlotte, Clothilde, Dorothée, Delphine, Edith,  Eugénie, Éveline, Estelle, Élie, Flavie, Hélène, Lilianne, Madeleine, Marguerite, Paule, Violette, Aimé, Basile, Bastien, Ernest, Éloi, Hugues, Léon, Léopold, Marcel, Oscar, Paul, Théodore.

Et bien sur, les indémodables: Anne, Camille, Caroline, Emma, Éliane, Élise, Florence, Gabrielle, Geneviève, Laure, Laurence, Marie, Mélanie,  Rose, Sara, Arthur, Antoine, Charles, David, Émile, Édouard, Étienne, Félix, Francis, Gabriel, Jules, Jérôme, Louis, Mathieu, Mathias, Maxime, Nicolas, Philippe, Samuel, Sébastien, Thomas, Xavier.

Le reste:

Ceci n'est qu'un bref apreçu, car la revue contient beaucoup de matériel. Il y a plusieurs articles sur l'alimentation, sur l'utilisation du biberon, l'hygiène alimentaire et l'introduction des solides, d'autres sur le choix des premiers souliers, sur les exercices à faire faire à bébé, sur la découverte de la vaccination,  le suivi médical du bébé, sur comment donner convenablement le bain, des indication précises sur la layette à prévoir, et bien plus encore. Tout ça entrecoupé de publicités de biberons, de lait en canne, de produits pour bébé, de couches, de poussettes, et même une annonce pour des électroménagers (parce qu'on sait tous que la première chose qu'une nouvelle mère désire c'est retourner à ses tâches ménagères et à ses fourneaux)! Voici quelques pages, pour le plaisir (vous pouvez cliquer dessus pour les voir en plus grand):

Evidemment il y a des annonces de lait à profusion, mais j'étais loin de me douter qu'on donnait du lait Carnation aux bébés... 













Eh non, l'histoire du sirop de maïs, c'était pas une blague! Et pour votre information, cet ingrédient est encore le premier sur la liste de beaucoup de préparations commerciales pour nourrissons sur le marché aujourd'hui.


Je crois que celui-là, c'est mon préféré. Quelle bouille! Si vous agrandissez la photo, il s'agit de la liste des choses nécessaires pour la layette, et pour s'occuper de bébé. Intéressant de voir ce qui était suggéré à l'époque et de le comparer avec ce qui est nécessaire aujourd'hui! 


Le seul texte sur l'allaitement, page de gauche, en tout petit, évidemment entouré d'annonces de biberons et de lait, avec en prime une photo d'une fillette qui donne le biberon à sa poupée!

Conclusion:
Je d'irais qu'une chose qui m'a particulièrement frappée sur le mode de pensée de l'époque est la sacro-sainte importance accordée au médecin et à son opinion. Bien sûr, même aujourd'hui on suggère que le bébé soit suivi régulièrment par un pédiatre ou un médecin de famille, c'est une question de suivi de santé,  mais dans cette revue, il y a une déresponsabilisation et un manque de confiance quasi totale de la mère... Le ton général pourrait se résumer par: «Vous ne savez pas ce qui est bon pour votre bébé, nous savons, nous vous dirons quoi faire et venez nous consulter avant la moindre prise de décision et au moindre doute». Je pense que si j'étais une mère de l'époque, et que je ne savais pas ce que je sais aujourd'hui, je me serais probablement sentie incertaine sur mes habiletés maternelles face aux conseils donnés dans cette revue. Il n'y a aucune confiance accordée à l'intuition et aux habiletés maternelles. C'est «Moi j'ai étudié et pas vous, alors vous ne pouvez pas savoir ce qui est bon pour votre bébé». Il est aussi intéressant de voir à quel point certaines croyances persistent encore aujourd'hui, comme penser qu'il faut préparer les mammelons avant l'allaitement, ou au sujet des rythmes de sommeil ''normaux'' qu'un bébé devrait adopter. 

Je comprends maintenant mieux pourquoi certaines mentalités persistent, et pourquoi il est parfois difficile pour les nouvelles mères de faire valoir leurs choix auprès de leur famille et de leurs aînées. Le façons de procéder et les conseils donnés aux nouvelles mamans ont énormément changé, mais parfois lorsqu'une façon de penser est bien implantée dans une société, ça peut être très long avant de pouvoir admettre d'autres idées qui pourraient être meilleures que les précédentes. Après tout, nous sommes faits pour évoluer, non? Et qui dit que notre façon d'agir aujourd'hui est la meilleure? Nous découvrirons peut-être au fil du temps des façons de procéder et d'élever notre enfant encore plus adaptées à nos chers poupons.  

À la prochaine!

Photos:
http://images.dailylife.com.au/2012/11/16/3800187/Mother_baby_narrow-300x0.jpg
https://sphotos-a.xx.fbcdn.net/hphotos-ash3/p480x480/942692_508199139246943_365977005_n.jpg
http://www.healthcare2point0.com/images/DelRm_HoldUpBaby_1950s_edit.jpg

Comments

  1. L'opinion du médecin était survalorisée parce que le médecin coûtait cher! Il n'y avait pas d'assurance-maladie à l'époque et l'hôpital et les services médicaux devaient être payés. En 1940, il n'y avait que 16% des femmes qui accouchaient à l'hôpital, faute de moyens financiers pour payer! Il y avait beaucoup de mortalité infantile. En 1950, 50% des Québécois n'ont pas d'assurance privée et ne peuvent se payer l'accès à un médecin. Le système d'assurance-maladie comme on le connaît n'a vu le jour qu'en 1969.

    ReplyDelete
    Replies
    1. Merci du commentaire! Très intéressant ce que vous dites, bel ajout, vous avez l'air ce connaître le sujet! Merci de me lire et bonne journée!

      Delete

Post a Comment