Comment les mots que nous utilisons influençent notre perception de l'accouchement

Bonjour! Aujourd'hui, mon article traite de vocabulaire. J'ai récemment lu quelques livres qui traitent en partie de ce sujet, et je trouvait ça intéressant de le partager.

Les mots que nous utilisons pour désigner les choses ou les événements, ont un effet sur la façon dont nous les percevons. Si je dis: «Ma voiture est en réparation», l'image est différente que si je dis «Mon bazout est au garage». L'effet est le même lorsqu'il est question de naissance.

Beaucoup de mots que nous utilisons couramment pour parler d'accouchement incitent à une vision négative de l'événement. En discutant d'accompagnement avec une amie, celle ci me dit: « mais quand la femme est en souffrance...». Ne trouvez-vous pas qu'en entendant le terme souffrance, on s'imagine une femme complètement à bout, hurlant de douleur comme si accoucher était la pire chose qui puisse lui arriver? Ça fait peur.

C'est vrai qu'accoucher est intense,  il y a des sensations désagréables, un certain niveau de douleur impliqué, et ça demande beaucoup de travail. Ça peut être difficilefatiguantexigeantépuisant. Mais ça peut aussi être plaisant, beau, sensuel, doux, excitant, et même orgasmique.

Dans ses livres, Ina May Gaskin n'utilise jamais le mot contractions. Elle trouve que ce mot à une connotation négative. Elle utilise à la place le mot rush, en anglais, qui peut se traduire en français par précipitationélanaccélération, et, apparemment, le mot rush est aussi accepté en français. Personnellement, j'aime beaucoup le mot précipitation pour remplacer contraction. Ça me fait penser à la pluie, à la mer, à des rapides, à l'élément aquatique qui occupe déjà une si grande place pendant la grossesse et lors de l'accouchement. Précipitation évoque l'énergie qui circule, qui se bouscule, pour faire naître un humain. Des mots comme vagues, et ondes illustrent aussi bien ce mouvement utérin. Contraction, à mon goût, est stagnant, et évoque la douleur, la crispation...

De plus, en anglais, le mot delivery (délivrance) est un des mots les plus utilisés pour désigner la naissance... Lorsqu'on va à l'hopital dans un pays anglophone, on ne va pas en unité des naissances, ou en maternité, on va en Labor and Delivery, littéralement, travail et délivrance. Un bébé n'est pas délivré de sa mère, et la mère n'est pas délivrée de son enfant. Un bébé naît, la mère accouche. Le mot délivrance me fait toujours penser à cette prière catholique qui se termine par «délivrez-nous du mal». Comme si être enceinte et accoucher était un mal dont il faut se délivrer et non une des plus belles expériences de la vie d'une femme...
Le mot delivery peut aussi se traduire par livraison. Comme si un bébé était un produit à livrer. L'image qui me vient aussi en tête est celui d'un bébé qu'on livre à sa mère, plusieurs heures après sa naissance, tout emmailloté et nourri, comme on faisait dans les hôpitaux il n'y a pas si longtemps...

Il y a d'autres mots avec lesquels j'ai de la difficulté. Foetus en est un: c'est comme si on rabaissait le bébé à l'état de chose, d'organe. C'est comme si avant de naître il n'était pas un être vivant mais juste un amas de chair dans le ventre de sa mère. Je préfère le terme bébé à naître. Je déteste en particulier le mot patiente pour désigner une femme qui accouche. Une femme qui donne naissance n'est pas une malade à traiter, accoucher n'est pas une urgence médicale (dans la majorité des cas). De plus, une femme accouche assistée d'un médecin ou d'une sage-femme. Ce n'est pas le médecin ou la sage-femme qui accouche la future mère. 

Certaines formulations autrement inoffensives peuvent aussi devenir négatives ou même faire peur pendant un accouchement. Dans cet article, une doula de Vancouver illustre que d'utiliser des négations lorsqu'on parle à une femme en travail peut nuire, même si nos intentions sont bonnes. Utiliser des phrases comme «N'aie pas peur, tu n'est pas en danger» peut venir titiller une femme en travail et elle n'entendra peut-être que les mots peur et danger, et pourrait commencer à se questionner. On pourrait remplacer la phrase précédente par: «Tu fais du bon travail, tout va bien, bravo».

L'idée ici n'est pas nécessairement de pointer des mots du doigt et de les éradiquer du langage autour de l'accouchement, mais de voir ce que les mots évoquent chez nous, et de choisir ceux avec lesquels nous sommes à l'aise. Certaines personnes aiment le mot contraction, parce que ça leur rappelle que l'utérus fait son travail, que c'est un puissant exercice qui permet à leur enfant de sortir.

En terminant, tout ce remous de mots a titillé ma fibre poétique. J'ai donc décidé d'écrire un petit poème. Et de grâce, soyez indulgents, la dernière fois que j'ai composé un poème j'avais douze ans...


Alors qu'elle entamait sa nuit,
Une sensation nouvelle au ventre est ressentie

Le jour tant attendu 
Est-t-il enfin venu?

S'efforçant de les ignorer elle va se recoucher
Mais les vagues sont de plus en plus rapprochées

Elle chante, marche, et se balance,
L'on croirait qu'elle est en transe

Cet enfant ardemment désiré
Se révélera sans tarder au monde entier

Les précipitations se font plus intenses
Bientôt arrivera le terme de cette danse

Mais pour permettre à son bébé d'arriver
Elle devra apprendre à se laisser aller

À chaque onde, profondément elle inspire
Et sent le passage doucement s'ouvrir

Soudain une nouvelle intensité
Proclame le moment de pousser

Un dernier élan, une dernière pression
Et paraît enfin son nourrisson

Jamais elle n'oubliera le moment
Où pour la première fois elle posa les yeux sur son enfant

Par un beau matin d'été
Un nouveau-né nous a gratifiés de son arrivée

On ris, on chante, on pleure, on crie
C'est le miracle de la vie!

Voilà pour aujourd'hui! J'espère que vous avez apprécié mon petit spécial vocabulaire ainsi que mon poème!

À la prochaine!

Sources
CASSIDY, Tina, BIRTH- The surprising history of how we are born, Grove Press, New York, 2006, 312 pages. 
GASKIN, Ina May, Spiritual Midwifery, Book Publishing co., 2002, 480 pages. 

Comments

  1. J'aime beaucoup beaucoup ce texte qui me fait penser justement à un texte anglophone reçu dans ma formation postpartum sur le vocabulaire et son impact sur les pratiques et les événements.

    Joli texte Laurie, merci! :)

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  2. Merci pour ce beau texte. Tu portes à réfléchir ce que j'adore. Ton poème est tout aussi magnifique, doux et plein d'émotions.

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