L'accompagnante à la naissance ou la gardienne de l'instinct maternel

Je vous présente quelques  extraits du travail de recherche d’Aurélie Alaume présenté dans le cadre de la formation d’accompagnante à la naissance du Centre Pleine Lune. Elle définit très bien le rôle d'une doula (accompagnante) versus les besoins des femmes qui enfantent. Ce texte est aussi disponible sur le blog du Centre Pleine Lune.


Dans notre société dénaturée où le mental a toute la place et où le scientifiquement prouvé est gage de sécurité, de crédibilité et d’infaillibilité, peu ou pas de place est donnée à l’intuition, l’instinct, le je le sais, mais je ne sais pas pourquoi, ni comment.
À l’ère des spécialistes en tout et n’importe quoi, l’individu commence à avoir l’impression qu’il ne peut pas tout savoir (ce qui est juste), mais finit par penser qu’il ne sait rien puisqu’il n’a pas étudié tel ou tel sujet.
Or, si l’humanité en est aujourd’hui là où elle en est, c’est bien que l’être humain a composé pendant longtemps avec le savoir empirique et en faisant confiance à son intuition.
J’ajouterai même qu’aujourd’hui avec toutes les connaissances que l’on a, notamment sur le rôle des hormones dans notre vie, on devrait justement redonner à la nature (notre chimie, dans le cas des hormones) sa juste place.

Que l’on se penche sur le cocktail d’hormones sécrétées pendant l’accouchement (jusqu’à l’expulsion du placenta) et l’allaitement, ou bien sur les besoins de la femme qui accouche, sur ceux du nouveau-né et du bébé, il apparaît évident que les discours ambiants et les gestes préconisés dans notre société industrialisée vont, pour la plupart, à l’encontre de ces besoins, voire empêchent des processus millénaires d’avoir lieu. Faut-il préciser que ces processus concernent la survie de l’espèce humaine ?

Et alors, c’est là qu’arrive l’accompagnante à la naissance, ou doula, et le rôle important qu’elle a à jouer, selon moi, dans ce paysage des naissances industrialisées, instrumentalisées. De même, je suis consciente que certaines naissances (et donc des familles) profitent des avancées technologiques médicales et ne finissent pas en drame, mais je parlerai ici des grossesses dites « normales ».

Les besoins de la femme qui accouche[1]
Deux choses sont importantes, l’une autant que l’autre, car, comme nous allons le voir, elles sont intimement reliées. La femme qui accouche a besoin de se sentir en sécurité, ce qui lui permet de sécréter les hormones nécessaires à son corps pour qu’il puisse donner naissance à son enfant, de façon physiologique. Ces deux conditions sont interreliées, car si la femme ne se sent pas en sécurité, elle ne pourra sécréter l’ocytocine, hormone impliquée dans toutes les facettes de l’amour [2] et qui commande les contractions (et tous les réflexes d’éjection : lait, sperme, bébé, etc. du « mammifère humain »).
Comme l’explique Isabelle Brabant[3] cette sensation de sécurité prend sa source d’abord dans la confiance. Confiance en notre corps, en sa capacité à mener à bien son travail, confiance en notre pouvoir de sentir, de questionner, de comprendre. Mais attention : confiance ne veut pas dire une croyance aveugle que rien ne peut nous arriver, que le corps est tout-puissant, que tout ira bien sans qu’on imagine même une autre éventualité. C’est plutôt un sentiment qui fait qu’on se fie à soi-même, à ses forces, à l’intérieur de ses limites. (…) La vraie sécurité découle de notre responsabilité et de notre autonomie. Toujours est-il que le sentiment de sécurité est la condition sine qua non à la libération des hormones nécessaires au bon déroulement d’un accouchement, en plus de tomber sous le sens : comment vivre un moment de vie si intense si l’on ne se sent pas en sécurité, en confiance (ce qui ne veut pas dire, comme l’exprime Isabelle Brabant, une confiance aveugle : en son corps, en la nature ou en l’équipe médicale présente ; mais bien une confiance informée, réaliste) ?
De façon plus anatomique, la femme qui accouche a besoin d’une grande liberté de mouvement afin de trouver les positions qui aideront la descente du bébé et la diminution de la douleur. Qui d’autre que la femme elle-même peut mieux savoir quelle position aide à tel moment et quelle autre l’instant d’après quand le bébé a progressé ?

Toute cette information, très mesurable et logique devrait être la base des connaissances transmises aux couples lors des cours prénataux. En effet, elle les outille, les rend acteurs de leur accouchement et leur permet de pouvoir, de façon logique, poser des gestes qui n’entraveront pas la progression du travail (quand on sait qu’être couchée sur le dos, les pieds dans les étriers, est la pire des positions pour la poussée - et ne peut qu’accentuer les risques de déchirure, on est en mesure de chercher autre chose de mieux adapté et moins souffrant). Le père a ainsi accès à une connaissance concrète des processus en marche pendant ce moment si important et lui confère un pouvoir d’action non négligeable et qui ne pourra, s’il souhaite participer, que rassurer la parturiente et ainsi, renforcer le sentiment de sécurité si important au bon déroulement des choses.

La douleur de l’accouchement
Prenons un exemple concret : si je n’avais pas mal quand ma main touche l’intérieur du four brûlant, je ne la retirerais pas immédiatement et me brûlerais à un degré sûrement bien plus important. Là, tout le monde est d’accord ! Et bien, pour l’accouchement, c’est la même chose, la douleur est nécessaire. Elle permet de signaler à la mère : cherche autre chose, bouge, cherche une position plus confortable parce que là, ça ne passe pas. Comme le dit clairement Verena Schmidt dans son Essai sur la douleur, la douleur guide, transforme, conduit à l’ouverture et à l’adaptation, je préciserai que ces paroles concernent l’accouchement, mais elles parlent également de ce que c’est que devenir mère (et on redevient mère à chaque naissance, chaque enfant étant différent, il nous demandera une ouverture et des changements qui lui seront adaptés).

La douleur est donc nécessaire pour que le passage de la vie d’avant à celle qui s’en vient se fasse en conscience, clairement et sans possibilité de retour en arrière. Elle est une épreuve à passer avec succès pour conforter la maman dans son nouveau rôle. Si elle est capable de passer au travers de cette épreuve, donc, elle sera capable d’être mère. Si je fais un parallèle, une mère qui n’a pas pu enfanter (ce qu’on fait tellement de femmes avant elle, elle ne peut le nier) pourrait remettre en question sa capacité à être mère, ce qui la pousserait à s’en remettre à tous les spécialistes de tous les domaines concernant l’éducation, la santé, les loisirs, etc. de ses enfants. D’où une forme de démission possible de son rôle de mère, vu « l’échec » de la première épreuve[4].
(…) Souvent la douleur exprime l’angoisse. D’ailleurs, on entend régulièrement des femmes dire quand elles accouchent : « J’ai mal » et ensuite, « Au fond, j’avais plus peur que mal »[5].
L’angoisse de se séparer de l’enfant, l’angoisse de devenir mère, l’angoisse de ne pas être à la hauteur, l’angoisse de revivre sa propre naissance, etc. Et comme il n’existe pas de piqûre pour calmer ces angoisses, on transpose le problème sur la douleur physique que l’on peut étouffer en claironnant haut et fort avoir réglé le problème.
Et puis, il ne faut pas croire que la nature n’a pas pensé les choses intelligemment, les endorphines entrent en jeu si la mère est dans les bonnes conditions pour leur permettre d’agir. Ce que font les endorphines, ce n’est pas seulement de diminuer la perception de la douleur, mais aussi de produire, dans la seconde phase de la dilatation, un état altéré de conscience ou état hypnoïde[6]. On parlait souvent, pendant la formation d’accompagnante, de la bulle dans laquelle la femme en train d’accoucher se rend lorsqu’elle le peut (si elle n’est pas dérangée, notamment par le langage). Cette bulle permet à la parturiente de sortir de son mental et rend ainsi possible cet abandon du Moi, de ses propres limites, la menant à la dilatation complète, à l’ouverture totale, la rendant capable de se séparer de son enfant pour pouvoir l’accueillir dans la joie.

Parce que l’ocytocine chimique injectée à la mère pour déclencher des contractions ou relancer un travail qui s’est arrêté ne permet plus à l’hypophyse de sécréter ses propres hormones, ces interventions médicamenteuses sabotent le processus de naissance lui-même, quand on l’envisage tel que l’on vient de le présenter, de façon physiologique

Finalement, il apparaît clair que la nature a tout prévu pour que l’événement de la naissance soit un passage qui se fasse, malgré une douleur nécessaire, sous les meilleurs augures possible : certaines femmes ont même un orgasme à la naissance de leur enfant !

La place de l’accompagnante
À l’hôpital, l’équipe médicale n’est pas là tout le long du processus et change selon les quarts de travail et il est rare que l’on connaisse le médecin qui sera là pour la naissance. Tous ces facteurs concourent à une quasi-impossibilité de nouer ce lien de confiance permettant au sentiment de sécurité de s’installer durablement pendant le temps passé à l’hôpital pour la femme qui accouche.

C’est donc là qu’entre en scène la doula !
En effet, une doula rencontre le couple à plusieurs reprises avant l’accouchement et est donc au fait du déroulement de la grossesse pour la mère, le bébé et le papa, que ce soit d’un point de vue physique ou sur un plan plus émotif. Ensuite, elle est présente des débuts du travail à l’hôpital (et même bien avant au téléphone, au moins) jusqu’à l’arrivée du bébé ; et elle s’assure même que l’allaitement (si c’est la volonté des parents) se passe bien et que les parents ne sont pas inquiets et se sentent prêts à ce qu’elle les laisse à l’hôpital. Elle passera ensuite chez eux quand ils seront rentrés, pour une visite postnatale, et leur prodiguera des conseils avisés sur le comment de leur nouvelle vie de parents. En plus d’une écoute constante des questionnements et autres angoisses des futurs parents, elle les informe et leur fait se poser des questions afin qu’ils se préparent au mieux à la naissance et la vie avec leur bébé.
Mais à la lumière de ce que j’ai lu, de ce que je viens de présenter, rapidement soit, dans ces quelques pages, ce que j’aimerais partager ici c’est une belle découverte/prise de conscience que j’ai faite et qui vient comme synthétiser ce que me semble être le rôle de l’accompagnante, la place qu’elle doit occuper : elle doit permettre à l’instinct maternel de la mère de s’exprimer, en être la gardienne en quelque sorte. Ça a l’air simple dit comme ça, mais il me semble que dans notre société où seuls le mental, le rationnel et la performance sont valorisés, peu de place, voire pas du tout, est laissée à l’instinct, ce savoir profondément enfoui et parfois timide, qui est la somme de toutes les expériences vécues par l’espèce humaine depuis qu’elle existe. Et l’instinct, cela inclut : laisser la possibilité aux hormones justes et adéquates à la situation d’être secrétées, mais c’est aussi donner tout l’espace à la mère qui accouche d’exprimer ce qu’elle vit et de trouver ses solutions à elle, dans les différents moments du travail. Oui, la doula a un savoir et une connaissance du milieu médical que n’ont bien souvent pas les parents, mais, c’est la mère qui accouche et c’est elle qui sait le mieux ce dont elle a besoin, envie et ce qui leur convient à elle et son bébé. Alors, place à la mère qui accouche, elle sait. À nous de la rassurer si besoin est, mais personne n’accouche à sa place !

Pour résumer, la Charte de la doula, selon moi, ce serait être:
- Une personne-ressource qui est présente pendant la grossesse et tout le long de l'accouchement.
- Un lien de confiance pour la mère et le père (ou tout autre personne présente) dans un environnement qui peut être intimidant (l'hôpital) pendant l'accouchement.
- Un pont entre eux, l'intimité et l'extérieur, le personnel de l'hôpital.
- Une présence qui, lors des moments plus intenses, rappelle à la mère ses valeurs et le pouvoir qu'elle a tout en restant à l’écoute, empathique.
- Une femme qui connaît les parents, leurs valeurs, leurs besoins, leurs envies et leurs préoccupations et qui, sans les juger, va les accompagner sur ce chemin, tout le long, avec respect et douceur.

Conclusion           
Parce que si je suis convaincue que le bébé a des besoins et ne fait pas des caprices pour le plaisir de déranger ses parents, je ne peux nier que la femme enceinte en a également et que ce qu’elle exprime pendant sa grossesse, son accouchement et après la naissance, ce ne sont pas des nécessairement caprices, mais bien des besoins spécifiques à sa condition du moment. Une seule certitude reste entre l’avant toutes ces connaissances que j’ai emmagasinées et le maintenant : la femme est faite pour accoucher et allaiter, elle a ce pouvoir là, en elle. Ce dont j’ai pris conscience, c’est que le contexte dans lequel on vit ces moments ne facilite pas, voire qui met un obstacle entre l’être humain et ce pour quoi il est programmé par sa nature, son instinct. Alors, devient importante l’information (anatomique, factuelle et théorique) pour que les parents se préparent en conscience à l’accouchement qui leur ressemble.

Avoir dégagé ce rôle de gardienne de l’instinct maternel pour la doula va me servir dans ma future pratique, cela me permettra de toujours « me surveiller » et rester à ma place : à l’écoute, disponible, proche, mais laissant la place au couple et à la mère de vivre leur moment tel qu’ils « doivent » le vivre et non comme je pense que cela doit se passer. Belle leçon d’humilité !

La bibliographie et les références sont disponibles dans la recherche complète d’Aurélie.

Je vous rappelle que cet article est une version abrégée de la recherche d’Aurélie. Si vous souhaitez lire son travail en entier, vous pouvez lui demander à l’adresse suivante : aurelie.alaume@gmail.com
Elle a également ouvert une page sur Facebook : www.facebook.com/DoulaLaurentides
Voici l’adresse de son blog : http://doulalaurentides.wordpress.com/



1 Sans nécessairement en citer des passages, les ouvrages de Michel Odent sont les principales sources d’information de cette partie, ainsi que l’enseignement d’Isabelle Challut pendant la formation et son article dans l’ouvrage collectif Devenir soi.
[2] Isabelle Challut, Devenir soi- La naissance au cœur de notre vie, p. 105
3 Une naissance heureuse, p. 58

5 Et un peu plus loin : L’angoisse peut rester très forte sous péridurale. Cela étonne beaucoup les sages-femmes qui pensaient que la péridurale résoudrait ce problème. Brigitte Dohmen, Trois fées pour un plaidoyer, p. 140- 141


À la prochaine!



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