Donner naissance au 18ème siècle, partie 4: Les soins à la mère, l'allaitement et la mise en nourrice

Voici la quatrième et dernière partie de ma série sur les naissances au XVIIIème siècle. Pour ceux qui ont manqué la partie 1, la partie 2 et la partie 3 de mon petit cours d'histoire, j'ai trouvé un manuel de sages-femmes datant de 1758 le week-end dernier, et j'ai trouvé le contenu si intéressant que j'ai décidé d'en parler. Il a été écrit par une sage-femme française du nom de Angélique Marguerite Le Boursier Du Coudray (1712-1792) afin d'éduquer les sages-femmes à travers la  France, qui souvent n'avaient pas vraiment de formation concrète.


La partie 1 traitait de la grossesse, la deuxième parlait de l'accouchement, et la troisième de l'accueil du bébé. Cette fois-ci je parlerai des soins et conseils donnés à la mère, de l'allaitement et de la mise en nourrice. 


Une fois les soins au bébé terminés, on s'assurait que le placenta était bien sorti, et, s'il était nécessaire, on procédait à une délivrance assistée du placenta, en tirant tout doucement sur le cordon. On passait ensuite une bande large de tissu sous les reins et on l'attachait devant avec des épingles, afin d'aider le bassin, les os du pubis et l'abdomen à se resserrer. On le resserrait ensuite (mais pas trop pour éviter des douleurs vives ou des infections) au bout de quelques jours, puis à chaque jour. Elle parle ensuite des différents linges à lui mettre un peu partout pour la garder chaud et pour l'aider à se remettre, mais ce n'est pas nécessaire de retranscrire l'extrait. 


Voici un autre extrait concernant le régime à observer, des suites de couches et elle parle aussi un peu d'allaitement:
«[...] D'ailleurs, presque toutes les femmes de la campagne nourrissent leurs enfants; cette évacuation de leur lait les garantit des suites fâcheuses des couches, pourvu qu'elles aient été ménagées dans leur accouchement. On doit prendre garde si elles en perdent assez, si elles urinent souvent & sans douleur, si le ventre n'est point tendu, si elles vont aisément à la selle; & si elles étoient quelques jours sans y aller, on leur donneroit un lavement fait d'une décoction d'herbes émollientes, ou seulement avec de l'eau, où l'on joinderoit un peu de beurre, ou de la graisse du pot. 
 Quoique ce livre ne soit destiné que pour les Accoucheuses de Campagne, cependant comme elles peuvent être appelées auprès de quelques Dames d'une complexion délicate, & qui ne sont point accoutumées à nourrir leurs enfants, j'entrerai dans un détail plus circonstancié sur les soins que l'on se doit de donner auprès d'une accouchée. 
 Les femmes délicates se conduisent d'une maniere différente que les femmes de la Campagne. Lorsqu'elle sont dans leur lit, on doit leur donner un bouillon; & supposé que la Garde ne soit pas bien entendue, on lui reccomandera d'en donner un de trois en trois heures; ce ne sera cependant qu'après avoir su de l'accouchée si elle est d'un grand appétit: en ce cas, les simples bouillons ne lui suffiront pas, on y joindoit quelques petites soupes de pain blanc, coupées très monce, & en petite quantité, qu'on laisseroit tremper dasn le bouillon, sans les faire mitonner, ce qui les rendroit difficile de digestion. L'on aura soin que dans le bouillon il n'entre point de veau, étant contraire à certains tempéraments, & pouvant d'ailleurs exciter le dévoiement.
 On donnera pour boisson ordinaire la tisane de chiendent, que l'on fortifiera avec du bon vin, supposé que la femme soit accoutumée à en boire; mais si elle n'en buvoit pas, au lien de vin, on y ajouteroit un peu de sirop de capillaire, observant toujours que la boisson soit donnée tiede. 
 On ne doit pas exciter la sueur par un air trop chaud dans la chambre, ou de trop de couvertures. La précaution qu'on aura de faire observer à l'accouchée beaucoup de ménagement dans ses aliments, est très salutaire; la fievre de lait n'en sera pas si violente & durera moins. Quand la fievre est cessée, on peut laisser à la femme la liberté de manger, mais avec modération pendant quelques jours, c'est-à-dire, que le cinquieme ou le sixieme jour, elle peut manger un peu de volaille le matin, & elle doit s'en abstenir le soir, jusqu'à ce qu'elle commence à se lever & à faire un peu d'exercice. 
 Il est essentiel de s'instruire si les lochies ou vuidanges coulent suffisamment; on dois demander à la Garde à voir les chauffoirs, ce que l'on ne peux chez la plupart des femmes de la Campagne, qui n'en font point usage. On observera si la perte est considérable, afin de ne rien laisser à appréhender pour les suites, soit qu'elle fût trop grande, ou que la femme n'en perdît point assez. » p.79-82


D'après ce que je peux lire, les sages-femmes de l'époque semblaient bien s'assurer du bien-être et de la santé de la femme. Par contre, il est clair que les conditions de vies étaient assez peu hygiéniques et les connaissances dans les domaine de la santé et de la nutrition assez limitées, mais je suppose qu'elles faisaient de leur mieux avec les moyens et les connaissances de l'époque. 


Pour ce qui est de l'allaitement, la majorité des femmes allaitaient, puisque la majorité de la population était pauvre et ne pouvait pas se payer de nourrice. Par contre, les femmes de la bourgeoisie et de la noblesse, qui sont qualifiées de ''délicates'', dans le livre de Madame Le Boursier Du Coudray, n'allaitaient pas ou presque jamais par crainte de perdre leur beauté. La mode était à la mise en nourrice. Les nourrices étaient des femmes du peuple, elles-mêmes souvent mères, qui étaient payées pour allaiter et s'occuper des enfants des autres. Certaines pouvaient même prendre plusieurs bébés en même temps pour arrondir leurs fins de mois. 


On pourrait croire qui n'importe quelle femme ayant du lait dans ses seins et une bonne santé avait la possibilité d'être nourrice, mais les critères de sélection étaient très stricts. Tout un chapitre dans le livre est consacré aux qualités et caractéristiques requises à une bonne nourrice. Le texte m'a beaucoup amusée car certains de ses critères sont vraiment ridicules, et d'autres sont des préoccupations que personne n'aurait aujourd'hui à cause du mode de vie si différent.
 Je vous laisse en juger par vous-mêmes: 
«Il seroit à souhaiter que la mere de l'enfant puisse le nourrir elle même, à raison de la conformité du tempérament, surtout si elle jouissoit d'une parfaite santé, & qu'elle fut bien constituée, la bonne constitution du corps étant la première qualité d'une Nourrice; à quoi il faut ajouter qu'il seroit bon qu'elle ne fût pas née de parents attaqués de certaines maladies capables de se transmettre, telles que la pierre, la goutte, les écrouelles, l'épilepsie, &c. 
 Les autres qualités de la Nourrice regardent la disposition de son sein. Les mamelles doivent être d'un volume suffisant, ni trop grosses, ni trop petites, pour fournir la quantité de lait nécessaire à l'enfant; il faut qu'elles ne soient ni applaties, ni attachées aux côtés; elles doivent, au contraire, s'avancer en dehors en forme de poire: le mamelon ne doit être ni trop gros, ni trop enfoncé. Un mamelon trop gros, remplissant la bouche du nourrisson, l'empêcheroit de tetter; en un mot, la grosseur & la figure du mamelon doivent répondre à celle d'une noisette. Il doit être percé de plusieurs petits trous, pour qu'il laisse échapper facilement le lait, & que le nourrisson ait moins de peine à sucer; ensorte que l'enfant quittant le tetton, on voit sortir le lait par plusieurs rayons, ainsi que l'eau sort d'un arrosoir.  
 Le lait ne doit être ni trop épais, ni trop séreux. [...] Le lait doit être blanc, doux et un peu sucré.
 Il ne faut pas que la nourrice soit trop jeune ni trop vieille: le premier âge est trop chaud, & le dernier abonde trop en humeurs. Le bon âge est depuis vingt-cinq ans jusqu'à trente-cinq. 
 On préfère les nourrices qui ont les cheveux blonds ou châtains à celles qui les ont blonds ou roux, & qui ont des taches de rousseur. Ces dernieres ayant pour l'ordinaire une odeur désagréable. Si la peau n'est pas d'un grand blanc, il faut du moins qu'elle ne soit point livide, ce qui annonceroit un tempérament bilieux: elles doivent avoir un peu de couleur, mais pas trop. On doit examiner le col, & le dessous du menton de la nourrice, pour savoir si elle n'a pas eu les écrouelles. En regardant les bras, on peut juger, par la quantité des cicatrices des saignées, si elle est valétudinaire. On doit s'informer si elle n'est point réglée pendant qu'elle nourrit, parce que si elle l'étoit, l'abondance du lait en seroit diminuée. Il seroit bon encore que la nourrice ne fut point louche, ni qu'elle n'eût point les dents gâtées, ce qui pourroit lui donner une mauvaise haleine, capable d'incommoder l'enfant. [...]
 Si l'enfant de la nourrice est mort, il faut s'informer si ce n'est point de quelque maladie contagieuse, comme le sont les fievres pourpreuses, quelques ulceres vénériens, la gale, &c. Tout cela n'annonceroit pas une nourrice bien saine; mais si son enfant vit, on peut juger d'elle par lui-même: si son teint est vermeil, si sa chair est ferme, & si, l'examinant tout nud, on le trouve écorché entre les cuisses, cela fera connoître la malpropreté de la nourrice, qui ne manqueroit pas d'être encore plus négligente pour un enfant qu'elle ne prend que par intérêt. 
 Une attention qui est encore nécessaire, concerne les moeurs de la nourrice. Il n'est pas douteux que le caractere de celle qui allaite, n'influe beaucoup sur l'enfant qui suce les vices avec le lait, & qui quelquefois, tient moins de ceux qui lui ont donné le jour que de celle qui l'a nourri. On doit s'informer avec soin si la nourrice n'est point sujette au vin, au vol, ou à quelqu'autre vice, si elle est violente, ou si son humeur est inégale. [...]
 On ne doit rien négliger, pour s'instruire de toutes ces circonstances [...]. L'on a d'autant plus à se reprocher de n,avoir pas usé de toutes ces précautions, que c'est dans les petits endroits, où l'on peut plus aisément s'instruire des moindres particularités.» p. 139-144



Enfant de la noblesse et sa nourrice


Cette peinture date du 17ème et non du 18ème siècle, mais je l'aimais bien alors j'ai décidé de l'inclure. Il s'agit du futur roi de France Louis XIV et sa nourrice. 


Je trouve amusant de voir qu'ils croyaient que les vices, les maladies héréditaires et les habitudes de vie se transmettaient par le lait. On comprend mieux ensuite leurs critères de sélection si sévères. La partie sur la couleur des cheveux me fait rigoler à chaque lecture tellement c'est ridicule!! L'hygiène était si mauvaise à l'époque que tout le mode puait, alors c'est étonnant de voir que l'odeur était l'une de leurs préoccupations. 
Le livre fait aussi mention d'une interdiction faite aux nourrices par l'Église de mettre les bébés à leur charge dans leurs lits pour allaiter et dormir avant l'âge de un an, par crainte de les étouffer. Il faut dire qu'il n'existait probablement pas de conseils pour la pratique sécuritaire du cododo à l'époque, et les accidents étaient fréquents. 


Ceci marque la fin de ma petite série sur le 18ème siècle. Je trouve toujours aussi fascinant et amusant de découvrir les mentalités des autres époques. Même si madame Le Boursier Du Coudray avait compris quelques concepts liés à l'accouchement qui sont encore ignorés aujourd'hui, je suis vraiment contente de vivre au 21ème siècle avec nos meilleures habitudes d'hygiène, la non-existence des saignées et des lavements, une meilleure compréhension des fonctions biologiques et hormonales, et des moyens médicaux pour remédier à des situations qui auraient automatiquement fini en tragédie à cette époque. 


J'espère que vous avez apprécié, et à la prochaine!


 sources:
Le Boursier Du Coudray, Angélique Marguerite, Abrégé de l'art des accouchements, Bouchard libraire, imprimeur du Roi, 1758, ré-édition de 1773, ré-imprimé en 1976 par les éditions Roger Dacosta, 185 pages.
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Comments

  1. bonjour,

    j'aimerai avoir la référence de l'ouvrage que vous avez lu, s'il est disponible sur internet ou pas, je suis très intéressé.

    Merci

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  2. Bonjour, voici la référence de l'ouvrage: Angélique Marguerite Le Boursier Du Coudray, Abrégé de l'art des accouchements, Bouchard libraire, imprimeur du Roi, 1758, ré-édition de 1773, ré-imprimé en 1976 par les éditions Roger Dacosta, 185 pages.

    Je l'ai trouvé à la bibliothèque nationale à Montréal, mais je crois qu'il est possible de le commander en ligne ou de l'acheter sur google books.

    Bonne journée!

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