Donner naissance au 18ème siècle, partie 1: la grossesse

Vous ne le savez peut-être pas encore, mais je suis assez friande d'Histoire. L'Histoire du monde et les événements importants, mais ce qui m'intéresse surtout c'est comment les gens vivaient, comment ils s'habillaient, leurs moeurs, habitudes de vie, etc. C'est tellement différent de notre façon de vivre aujourd'hui. Imaginez alors l'agréable surprise que j'ai eue ce week-end,  me promenant dans la bibliothèque nationale, de trouver une réimpression d'un livre datant de 1758 intitulé L'abrégé de l'art des accouchements...

Une petite recherche m'appris la chose suivante. Ce livre a été écrit par une dénommée Madame Angélique Marguerite Le Boursier Du Coudray (1712-1792). Celle-ci était une sage-femme qui mit au point une méthode originale pour enseigner les accouchements. En effet, elle fut l'une des premières à mettre au point un mannequin qui reproduisait de façon fidèle l'anatomie du petit bassin féminin, et assorti d'une série d'accessoires imitant les viscères et le contenu de l'utérus, afin de pourvoir démontrer et enseigner les mécanismes de l'accouchement ainsi que les manoeuvres à faire lorsque c'est nécessaire.

Madame le Boursier Du Coudray

 
Le mannequin d'accouchement qu'elle a inventé. On trouve aujourd'hui des mannequins d'accouchement modernisés dans les cours pour les futurs médecins et sages-femmes.

Elle fut une pionnière en ce qui concerne l'enseignement aux sages-femmes, car elle trouvait les cours donnés par les accoucheurs trop théoriques et peu utiles aux futures sages-femmes. Elle a gravit les échelons de la profession, et s'est fait plusieurs contacts importants qui lui ont permis entre autres d'écrire et de publier son livre et de donner des cours. En 1767 elle a obtenu un «Brevet Royal» par lequel elle fut mandatée d'organiser des cours à travers la France pour former les nouvelles sages-femmes, ce qu'elle fit pendant un plus d'un quart de siècle, jusqu'à sa retraite.

Malgré la détermination et le professionnalisme apparent de cette femme, je ne peux m'empêcher de lire avec étonnement certaines des choses écrites dans son livre. Elle était probablement une bonne sage-femme dans son temps, et bien des éléments dans ses textes sont encore vrais, mais beaucoup des pratiques expliquées dans son livre sont inutiles, nuisibles à la santé de la femme, et même dans certains cas, un peu barbares, d'après ce qu'on sait aujourd'hui.

Voici un premier extrait, concernant les soins pendant la grossesse. Veuillez noter que j'ai respecté l'orthographe et la structure du texte original, écrit en vieux français, ce qui explique les formulations étranges:
«Si l'on pouvoit faire revenir du préjugé où sont bien des personnes, de ne point faire saigner la femme enceinte qu'au terme de quatre mois et demi, l'on éviteroit beaucoup de fausses couches, qui arrivent plus communément aux 2e, 3e & 4e mois, qu'aux autres termes. La raison est toute naturelle, puisque le foetus ne peut, dans ces premiers temps, consommer la quantité du sang dont la matrice regorge, & qui, par son abondance, détache l'arrière-faix qui lui est adhérent, & prive l'enfant de la vie, qu'il ne tient que de la communication des vaisseaux de la matrice avec ceux du placenta [...] Il est des femmes d'un tempérament si sanguin que cette légère évacuation n'est pas suffisante pour les prélever du danger d'une fausse-couche, si l'on n'y rémédie par de fréquentes saignées [...] Il est des femmes d'un tempérament différent, qui abondent plus en humeurs qu'en sang: deux saignées tout au plus leur suffisent pour tout le temps de leur grossesse, elles peuvent même s'en passer; mais on doit les purger plus souvent, pour prévenir une maladie, qui quelquefois se déclare pendant les couches & qui devient mortelle. [...] Il est encore des femmes dont le tempérament est si resserré, pendant leur grossesse, qu'elles ne peuvent aller à la selle qu'avec beaucoup d'efforts: on doit leur faire sentir le danger qu'elle courent alors, sut-tout l'avortement*, un relâchement de matrice, celui du vagin, & les hernies, soit de l'aîne ou du nombril: on les résoudra, pour prévenir les accidents, à faire usage de lavements simples, soit d'une décoction de son, avec un peu d'huile ou de beurre, ou d'herbes émollientes, telles que la mauve, la guimauve, la pariétaire, &c. soit d'eau simplement: celle des rivières est à préférer. On leur recommandera aussi de se tenir à l'aise dans leurs habits, pour ne point empêcher l'enfant de faire la culbute, dont je parlerai dans la suite. » p. 34-37


Quelques exemples de vêtements de maternité au 18ème siècle. La première photo, ci-dessus à gauche, provient du film ''The Duchess'', mettant en vedette Kiera Knightley dans le rôle de la duchesse du Devonshire, et qui se déroule durant la seconde moitié du 18ème siècle. La photo de droite illustre un corset de maternité de l'époque. Malgré les suggestions de porter des vêtements dans lesquels elles étaient ''à l'aise'' les femmes devaient tout de même pour la plupart porter ce genre de corset pendant leur grossesse. La photo ci-dessous est une peinture représentant la grande duchesse Natalia Alexeivna de Russie, enceinte, en 1776. Elle démontre bien le genre de vêtement porté par les aristocrates lors de la grossesse. Les vêtements de paysans étaient beaucoup plus simples, comme on le voit sur la photo d'après. 




Sur la fausse-couche ou l'accouchement prématuré:
«L'avortement se fait lorsque l'enfant vient avant le terme de sept mois; car sa sortie à sept mois, doit être regardée comme un accouchement , puisque les enfants venus à ce terme peuvent être élevés; mais avant ce temps-là on ne peut y compter, & souvent, ils n'ont pas le bonheur de recevoir le Baptême. Ces couches prématurées viennent quelquefois de ce que la femme n'a pas été assez saignée, ou des efforts qu'elle a faits pour aller à la selle, ou elles sont causées par quelque maladie aigue, ou par une toux violente, la colere, la danse, les chûtes, les coups, les fardeaux trop pesants, les secousses des voitures, & par plusieurs exercices, qui, quoi qu'en apparence, de peu de conséquence, deviennenent nuisibles à des tempéraments délicats. En effet, il est des femmes de complexion si faible, qu'elle sont obligées de garder le lit pendant tout le temps de la grossesse, pour éviter cet accident. 

Lorsque la femme ressent des douleurs, & qu'elle nous appelle, il faut d'abord s'informer de ce qui a pu y donner lieu; & s'il y avoit du temps qu'elle n'eût été saignée, on la feroit saigner sur le champ, & garder le lit. [...] C'est dans ces cas pressants, que je souhaite que les Accoucheuses de Campagne soient capables de donner les secours nécessaires aux femmes qui se trouveront en danger.» p.41-47


Au 18ème siècle, la connaissance de l'anatomie humaine, du système reproducteur féminin ainsi que du positionnement du bébé dans l'utérus (appelé matrice) était assez étendue, comme prouvent ces quelques dessins de l'époque. Ce qui manquait surtout étaient la compréhension totale du fonctionnement de ces organes et les compétences médicales pour pouvoir sauver la vie des femmes et des bébés.





Voici un autre extrait du livre, tiré du chapitre intitulé De la Situation naturelle de l'Enfant dans la Matrice :
«Lorsque l'enfant est renfermé dans la matrice, le milieu de ce viscere est la place la plus ordinaire qu'il y occupe, la tête en haut, & les pieds posant sur l'orifice, & il se trouve courbé sur la poitrine, le sommet de sa tête répondant au nombril de la mere: ses mains sont placées sur ses genoux, qui sont pliés, ses pieds étant approchée des fesses; de maniere qu'il se trouve tout accroupi: il reste dans cette attitude jusqu'au septieme mois, auquel temps il fait la culbute, parce que la tête devenant plus lourde, sa pesanteur l'entraîne vers le bas & en devant. Pour lors, le sommet de la tête vient peser sur l'orifice, le nez tourné vers le fondement de la mere, & les pieds sont en haut & touchent le fond de la matrice: c'est cette attitude que l'on nomme situation naturelle. Lorque l'enfant présente quelqu'aitre partie que la tête, on regarde cette situation comme contre nature, & ce n'est que par le moyen de l'Art que l'enfant peut sortir de sa prison. Cette culbute occasionne quelquefois des douleurs si vives, & qui durent assez de temps, pour faire croire à la femme qu'elle accouchera bientôt. En effet, noous pouvons nous y tromper nous-mêmes. [...] La première femme que je vis en cet état me surprit. Au huitième mois, elle sentit de vives douleurs, qui s'étoient augmentées par degrés, à ce qu'elle me dit: je trouvai l'orifice dilaté de la largeur d'un petit écu, & tout à fait éminci, & les eaux qui se portroient au devant de la tête à chaque douleur, me persuaderent que la femme accoucheroit bientôt; mais tout à coup ces douleurs cesserent, & après avoir attendu quelques temps, espérant qu'elles reviendroient, je m'avisai de toucher la femme, je ne sentis plus les eaux se former comme auparavent, & elle n'eut de vives douleurs qu'à la fin du neuvieme mois, auquel temps elle accoucha heureusement. » p.47-49


Je trouve très intéressante la lecture de ce volume, qui permet de voir l'évolution qu'il y a eu dans le domaine de l'obstétrique depuis 250 ans. Bien qu'à mon opinion personnelle les choses soient allées un peu trop loin et que selon moi, essayer de tout contrôler tout le temps grâce à la technologie n'est pas toujours mieux que de se fier à la vie et à son ''feeling'', il y a tout de même eu une évolution significative au niveau des connaissances et de la façon de traiter les parturientes, et une diminution considérable des accouchements se terminant en drames autant pour les mères que pour les bébés. Nous savons maintenant, par exemple, que de saigner un ou une patiente, peu importe la raison, est la meilleurs chose à faire pour l'affaiblir et l'achever et non pour le guérir.

Mon prochain billet sera la partie 2 de mon spécial 18ème siècle, et traitera de l'accouchement lui-même!

À la prochaine!



* Dans son livre, Madema du Coubray utilise le terme avortement pour désigner toute grossesse se terminant naturellement avant le septième mois de grossesse, un peu comme une fausse couche. Ne pas confondre avec la pratique de mettre fin volontairement à une grossesse.

Sources: 
Le Boursier Du Coudray, Angélique Marguerite, Abrégé de l'art des accouchements, Bouchard libraire, imprimeur du Roi, 1758, ré-édition de 1773, ré-imprimé en 1976 par les éditions Roger Dacosta, 185 pages. 


Leroy, Fernand, Histoires de naître, de l'enfantement primitif à l'accouchement médicalisé, Éditions DeBoeck, 2002, 456 pages. 

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